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Édition du 13 avril 2017,
section ACTUALITÉS, écran 3
À la fin des années 90, le tiers des plaintes pour agressions sexuelles n’étaient même pas considérées comme des affaires criminelles par le service de police de Philadelphie. En plus, les enquêteurs rejetaient 18 % des plaintes pour viol comme étant non fondées. Une jeune fille a même été tuée par un violeur en série qui n’avait jamais été inquiété malgré ses méfaits précédents, parce que les enquêteurs n’avaient pas cru les victimes ou accordaient peu d’importance à leurs plaintes. Après ces révélations par le quotidien Philadelphia Inquirer, le chef de police de l’époque, John Timoney, a rouvert plus de 2000 enquêtes, a procédé à une réorganisation majeure de ses troupes et a sollicité l’aide des groupes de défense des droits des victimes pour réviser annuellement les dossiers jugés non fondés et réexaminer le travail des enquêteurs.
Parmi les changements majeurs : au lieu de faire subir un « interrogatoire » aux victimes, les policiers leur font passer une « entrevue », souligne Carol Tracy, directrice du Women’s Law Project, qui participe depuis 18 ans à la vérification annuelle de l’Unité spéciale pour les victimes de la police de Philadelphie. « Les enquêteurs ont cessé de considérer que les plaignantes devaient prouver qu’elles ne mentaient pas, dit l’avocate. Il y a beaucoup moins de blâmes à l’endroit des victimes, elles ne se font plus demander pourquoi elles se promenaient seules le soir ou comment elles étaient habillées. » Le fait de côtoyer des groupes communautaires aide les policiers à comprendre comment les traumatismes peuvent influer sur le comportement des victimes, poursuit Mme Tracy.
Plaintes pour agressions sexuelles jugées non fondées à Philadelphie
1999 : 17 %
2017 : 4 %
Nombre de plaintes déposées
1999 : 4000
2017 : 6000
« L’augmentation du nombre de plaintes est une bonne chose, dit Carol Tracy. Ça veut dire que les victimes font plus confiance au système. » Le projet fonctionne parce que les intervenants cherchent à améliorer le système et non à prendre en défaut les policiers qui auraient été négligents, note-t-elle. « Nous savons à quel point c’est difficile d’enquêter sur ces cas, d’amasser des preuves hors de tout doute qui peuvent être présentées devant un tribunal. Une confiance mutuelle s’est installée. »
Ce n’est pas d’hier que le modèle de Philadelphie suscite de l’intérêt chez nous : il y a un an et demi, le Regroupement québécois des CALACS avait proposé à la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, l’adoption de ces pratiques, mais la suggestion est restée lettre morte. Il y a quelques semaines, le groupe est revenu à la charge en sollicitant une rencontre avec le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, pour lui proposer sa collaboration dans l’implantation du modèle de Philadelphie au Québec, dans la foulée des révélations du Globe and Mail, mais il n’a reçu aucune réponse. Depuis que des questions se posent sur le taux élevé de plaintes jugées non fondées, quatre villes ontariennes (North Bay, Hamilton, Brantford, Cobourg) ainsi que la police militaire envisagent de mettre en place un système inspiré de l’expérience de Philadelphie.
Même si sa révision des plaintes non fondées n’a pas révélé de problèmes avec ses enquêtes, assure la porte-parole de la police de Gatineau, Mariane Leduc, un projet-pilote sera bientôt lancé avec des organismes locaux. « On envisage de les inviter tous les deux ou trois mois pour réviser les enquêtes sur les plaintes jugées non fondées et nous faire des recommandations, explique Mme Leduc. On est très à l’aise avec la qualité de nos pratiques. On veut être transparents, pour que les victimes nous fassent confiance et soient encouragées à porter plainte. » Le service de police envisage aussi l’ajout d’une étape supplémentaire avant la fermeture d’une enquête avec la mention « non fondée » pour s’assurer que la plainte a été bien traitée. « On a une approche centrée sur les victimes, qui guide toutes nos remises en question. »